Le choix de Bangkok pour m'installer en Asie du Sud-Est n'est pas un hasard. D'autres pays ou villes auraient pu me convenir, mais je devais penser à chercher un travail qui corresponde à mes qualifications et mon expérience. Habiter dans une mégalopole, certes avec des possibilités illimitées, n'était pas dans mes priorités. J'aime le mélange de la nature à proximité et des villes à taille humaine. Je me renseigne et je me rends compte qu'il y a de nombreuses industries autour de Bangkok, y compris celle pour laquelle je suis qualifié : la production de produits cosmétiques.
De formation scientifique (Biochimie), j'ai commencé à travailler dans l'industrie pharmaceutique pendant près de 5 ans (Groupe Merck). J'ai appris mon métier dans un domaine que je ne connaissais pas : la production. Les débuts ne sont pas faciles. Je découvre les ateliers de fabrication avec leurs tuyauteries complexes qui semblent recouvrir chaque atelier. Je me dis : c'est quoi tout ça ? Comment vais-je me rappeler de toutes ces vannes ? Une vanne d'alimentation mal ouverte, mal fermée, ou simplement une erreur, peut avoir des conséquences non seulement sur le produit, mais aussi sur la sécurité.
Je me rappelle
mon instructeur me disant : "Quand tu arrives dans l'atelier, oublie tes
problèmes ou autres soucis, concentre-toi sur ton travail. Ton esprit doit être
entièrement consacré à ta tâche." Finalement, je m'adapte bien et j'ai
rapidement de plus en plus de responsabilités. Je ne le sais pas encore, mais
la production fera partie de ma vie professionnelle pendant près de 20 ans.
Cinq ans plus
tard, l'usine doit être entièrement rénovée. On me reconvertit dans un poste au
laboratoire, mais ça ne me convient pas. J'ai besoin de bouger, de me dépenser
pendant la journée. De plus, les relations avec le nouveau responsable sont
tendues. Résultat des courses, je me fais licencier, et finalement, ça me
convient bien. On a tendance à vouloir rester dans notre train-train quotidien,
à garder nos habitudes, sûrement aussi la peur de se remettre en question, la
peur de l'inconnu.
Après une année
de transition dans le bâtiment (un ami portugais m'a proposé de travailler avec
lui et son équipe), me voilà de retour dans le domaine de la production, mais
cette fois, dans l'industrie cosmétique. Je suis recruté par une agence
d'intérim pour une mission de 2 mois au sein du service fabrication pour une
usine du groupe L'Oréal. Cette mission intérim durera près de 18 mois et se
conclura par un contrat à durée indéterminée au sein de cette usine. Je ne m'en
doute pas encore, mais ce contrat durera 15 ans et se finira par la fermeture
de cette usine et sa relocalisation.
Ces 15 ans m'auront permis d'acquérir une expérience importante sur le terrain, mais aussi au niveau du management, avec même des formations à la DGT (Direction Générale Technique) de L'Oréal à Paris. Fort de cette "carte de visite", je sais que rien ne sera facile à mon arrivée à Bangkok, mais je suis assez confiant. Voulant mettre toutes les chances de mon côté, j'ai aussi envoyé mon CV à différents organismes de recrutement (Francophones ou Anglophones) et directement à des sociétés. Résultat : aucun retour, ni même un simple accusé de réception. Me suis-je vu trop "beau" ? Trop optimiste ? J'aurais des réponses à cette question plus tard.
Mon installation
se passe bien, je rencontre du monde, je me fais des amis, je vais à des
réunions visant à mettre en contact les acteurs de la vie professionnelle à
Bangkok, mais rien de concret. Mes envois de candidature restent également sans
succès, jusqu'au jour où je réponds à une annonce pour un emploi dans une
importante compagnie de cosmétiques en tant que "international trading
manager". Je dois être honnête en disant que je ne sais pas exactement à
quoi correspond ce poste, mais au vu des compétences qu'ils recherchent,
notamment des connaissances approfondies sur la fabrication de produits
cosmétiques, je me dis que mon profil peut correspondre.
Effectivement, je
reçois une réponse et une proposition d'entretien. Quelques jours plus tard,
direction Samut Prakan, situé juste à côté de Bangkok, qui est un pôle
industriel important et vaste. On me fait attendre dans une grande salle,
assis, seul. La disposition des tables me fait comprendre que plusieurs
personnes vont s'asseoir en face de moi. De gros projecteurs sont braqués sur
moi, la lumière est intense : je suis prêt pour l'interrogatoire. Plusieurs
personnes me font face, en costumes et cravates pour les directeurs, en blouse
blanche pour le responsable de production. Je me rends compte très vite de 2
erreurs que j'ai faites avant de venir : ne pas préparer cet entretien et ne
pas apprendre les termes techniques en Anglais.
Il est clair que
mon niveau d'anglais n'aurait pas pu être amélioré suffisamment en quelques
jours pour être adéquat pour un entretien de ce niveau. Mais connaître les
termes techniques m'aurait évité de bafouiller et de perdre en assurance. Ce
fut frustrant car toutes les questions techniques étaient assez simples, mais
mes hésitations pour répondre en anglais m'ont évidemment été fortement
dommageables. Ce fut d'autant plus frustrant car la description du poste était
de se déplacer en Asie, mais aussi en Europe, pour proposer les services de
cette compagnie. Il fallait bien sûr avoir une parfaite connaissance des
équipements, des processus de fabrication, des produits, des règles d'hygiène,
ce qui était, sans aucune arrogance de ma part, mon point fort.
Cela aurait-il
été suffisant pour être efficace dans ce poste ? Je pense qu'il y a d'autres
aspects que je ne maîtrisais pas, mais je ne le saurais jamais. Malgré un email
de ma part quelques jours après cet entretien pour avoir des nouvelles, je n'ai
jamais eu de réponse. Est-ce une déception : oui... et non. Oui, car un échec
est difficilement acceptable, une défaite, même méritée, doit faire mal pour
nous pousser à nous remettre en cause. Non, car je n'avais pas mis tous les
ingrédients pour me donner le maximum de chances. Je suis arrivé à cet
entretien un peu trop "la fleur au fusil", sans réelle préparation.
On peut accepter qu'un autre candidat ait plus de compétences et d'expérience,
mais pas de ne pas avoir tout fait pour se donner le maximum de chances pour
réussir. La chance fait partie du processus de réussite, bien sûr, mais cette
chance doit être provoquée, et les seuls qui peuvent le faire, c'est vous.
Développer le
maximum de connaissances et d'expertise dans n'importe quel domaine sera un
jour la clé qui vous ouvrira des portes.